Affiches Mourlot : Historique
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René Magritte (détail)
Affiche lithographiée par Deschamps, pour l'exposition au Museum of Modern Art, New York 1966
L'imprimerie Mourlot s'installe au 18 rue de Chabrol juste avant la première guerre, dans le siège de l'imprimerie Bataille, qui avait contribué à l'age d'or de l'affiche au tout début du siècle. Fernand Mourlot a alors tout juste vingt ans. l'activité de lImprimerie est encore assez éloigné de l'art, les principales commandes consistent alors en des en-tetes de lettres, des étiquettes gaufrées, des publicités, des affichettes pour des spectacles. C'et seulement petit à petit au gré de diverses rencontres que Fernand Mourlot orientera le destin de l'Imprimerie vers les productions d'art. La première affiche un peu remarquable aux dires de Fernand , c'est celle de Pierre Girieud, un artiste alors à la mode, dans un style plutôt académique. "un torse de femme plutot mastoc, devant un paysage provençal..", pour une exposition d'art français dans les pays scandinaves, en 1923. ces premières affiches seront remarquées et les musées voientt dans cette "réclame" une façon astucieuse d'attirer le visiteur, c'est ainsi que Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux va trouver Mourlot pour lui proposer une collaboration suivie, Ainsi naitront les premières affiches pour des expositions officielles, Delacroix en 1930 à l'Orangerie, suivie par Monet en 1931, l'Art italien au petit palais en 1935, Rubens, Ingres, Gauguin, Lautrec, Brueghel....
C'est en 1937, à l'occasion de l'exposition des maîtres de l'art indépendant au Petit Palais, que Fernand Mourlot, sollicité par les Musées de France, pour concevoir les affiches de l'exposition, rencontre Matisse pour la première fois. L'élaboration de cette affiche sera pour Mourlot une véritable expérience. Henri Matisse avait un goût très vif pour la qualité des reproductions et la belle typographie. On connaît par divers témoignages la rigueur avec laquelle il suivait toutes les mises en pages de ses livres. Matisse disait ne faire aucune différence entre la construction d'un tableau et celle d'un livre. On pourrait ajouter... et celle d'une affiche. Matisse s'intéressa de très près à ses affiches, allant jusqu'à en composer spécialement les maquettes, et à en suivre les impressions, pour Jazz, pour Nice, Travail et Joie, pour La Pompadour, pour la magnifique affiche de la Maison de la Pensée Française, en 1950, papier découpé réalisé à grandeur réélle, sur lequel toutes les lettres furent dessinées, assemblées collées et peintes de sa main.
Jean Dubuffet, présenté à Mourlot par Paulhan réalise ses première affiches originales dès 1944, Miro en 1947 pour l'exposition inernationale du Surréalisme, La venue de Picasso, rue de Chabrol, en octobre 1945, bientôt suivie d'un "déluge" de nouvelles lithographies, conduit tout naturellement l'artiste à concevoir en 1948, pour la première fois, une affiche originale. Le texte manuscrit sous l'image : Poteries, Fleurs, Parfums, est devenu une formule-clé de la lithographie. Au lieu d'une affiche prévue au départ, Picasso emporté par ses recherches tous azimuts, retient finalement trois essais, trois têtes de faune, adaptation lithographique de ses plats en céramique. Et voilà née l'affiche Mourlot, alliance subtile de la spontanéité créatrice de l'artiste et du savoir-faire des meilleurs artisans. Les affiches sont des mots simples; oeuvres à vocation collective, placardées sur les murs des grandes villes, dans les rues, dans les musées ou sur les portes des galeries, elles doivent frapper le regard et délivrer un message immédiat : le signe du peintre. Mais attention, les artistes ne sont pas des publicitaires; dans l'affiche de peintre, l'artiste détourne les habituels canons de la publicité, et n'obéit pas aux mêmes lois, l'artiste a toute liberté, c'est la règle. Nombre de galeries ou de musées pouvaient préférer une interprétation virtuose d'un tableau choisi à l'avance, bien lisible, réalisée par un as de la chromie, un Deschamps, un Sorlier, aux improvisations de Picasso ou aux écritures manuscrites, quelque peu brouillonnes, de Dubuffet. Éternelle discussion entre la gravure originale et celle d'interprétation, envisagée, cette fois, à propos de l'affiche. Disons tout de suite que, selon nous, les unes et les autres, annonçées pour ce quelles sont, se justifient pleinement, aussi bien les recherches de Dubuffet qui se permet l'audace de composer des affiches sur pierre, en noir et blanc, tirées seulement à quelques exemplaires, que les superbes "placards" polychromes conçus par Matisse jusque dans leurs moindres détails, mais réalisés par les meilleurs praticiens du moment.
Sans doute Mourlot gardait-il de son enfance le souvenir ému de l'âge d'or où Chéret, Lautrec, Bonnard et autres avaient fait "chanter les murs de Paris", pour reprendre l'expression de Claude-Roger Marx, et voulait-il, à sa façon, y rendre hommage. Fernand Mourlot était fier de ses affiches qui portaient son nom autour du monde, dans toutes les villes de France, à Londres, à Edimbourg, à Zurich, à Bâle, à Vienne, à Budapest, à Los Angeles, New York, Chicago, ou encore à Dakar, à Jérusalem, à Rio de Janeiro. En 1952, à l'occasion du centenaire de l'Imprimerie Mourlot, la galerie Kléber, à Paris, présenta ses plus belles affiches; Matisse avait composé spécialement celle de l'exposition, un étonnant "papiers découpés", devenu célèbre dans l'histoire de l'affiche : "la première affiche abstraite placardée sur les murs de Paris", s'emballait Mourlot. L'exposition eût un succès retentissant; le Tout-Paris artistique, Picasso, Miró, Braque, Chagall, mais aussi Aragon, Cocteau, Prévert, Colette, Tériade, Arletty vinrent admirer non seulement les créations originales, mais aussi ce charme particulier qui fait de l'affiche un curieux mélange entre texte et image. Une enluminure du quotidien, un pont entre la tradition et l'innovation, un livre de la rue en somme, où les mots et les typographies qui s'entremelent sont aussi les témoins d'une époque, telle cette légende imprimée sur une affiche de Picasso, de 1950 : "Rencontres internationales de Nice pour l'interdiction absolue de l'arme atomique, vos plus belles vacances serviront à sauver la Paix".
Hervé Bordas